Marsyas

La prospérité

La maman d'Izio, qui était veuve après le décès de son mari sur le champ de bataille, voyait avec tristesse le désespoir de son fils aîné. Elle l'exhortait au travail, elle lui rappelait comment naguère il avait rapidement réussi ce qu'il avait courageusement entrepris. Rien n'y faisait, Izio n'avait plus goût à rien. Elle s'inquiétait de ce que son gaillard de fils ne cherchât pas à prendre femme. Le garçon était resté secret sur son amour impossible, pressentant que de se confier à sa mère aurait plutôt compliqué l'affaire que son seul débat intérieur. C'est ainsi que les vertes pâtures des collines ombriennes résonnaient de sifflements plaintifs. Alerté par les désolants sanglots du pipeau et le bêlement continu du troupeau tout entier, le faune Marsyas se décide d'intervenir. Traversant le pré à flanc de coteau qui surplombait les vignes, il aborde le berger en ces termes:

- Eh! Bonjour, ami pastoureau, d'où te viennent ces lamentations? N'entends-tu pas que tes thrènes désespérés importunent tes bêtes. Le lait de tes brebis doit tourner dans leurs mamelles: les petits sont chétifs. Le bélier n'a plus d'appétit. Nous qui avons la chance d'avoir pour nous la nature et d'être au grand air, nous ne devons pas nous lamenter sans raison.

- Ma complainte n'est pas sans cause, bien que je la sache déraisonnable.

- Aurais-tu un proche à regretter?

- Nenni.

- Alors qu'est-ce qui t'attriste à ce point?

Izio lui confie ses peines de cœur.

- Ton sifflet t'a rendu riche, lui réplique Marsyas, mais il te rend triste! Je crois qu'il est grand temps que tu prennes la vie du bon côté, au lieu de gâcher tes meilleures années.

Et, joignant le geste à la parole, le faune enjoué lui offre une flûte de son invention, taillée dans un os de cerf et qu'il nomme syrinx. Si elle n'a pas le pouvoir de lui amener sa dulcinée, elle a du moins celui de répandre la gaieté autour d'elle et, surtout, de convoquer une nymphe des bois, tout aussi jolie et, qui plus est, accessible. Le jeune pasteur se fait prier. Marsyas lui fait valoir que la joie que diffusera la syrinx touchera les animaux. En conséquence de quoi la prospérité reviendra dans sa ferme, et il pourra retrouver le chemin de la ville et du marché.

- Tu comprends, l'ami? De fil en aiguille, ton entreprise refleurira, ton entrain sera apprécié. Et tu te donneras toi-même l'occasion de revoir la princesse de ton cœur. Et puis, mettons que ça ne marche pas tout de suite, tu pourras toujours te consoler avec la nymphe. Hum... Allez, accepte mon présent, et accepte ton avenir.

Avec un peu de musique, tous les soucis s'évanouiraient en douceur.»

Le pâtre finit pas se rendre à la raison, mesurant qu'il n'avait rien à perdre dans le troc de son sifflet contre un galoubet, si ce dernier pouvait lui faire retrouver le sourire et revoir Mélia. Il échange donc le sifflet de Lucifer pour la syrinx de Marsyas. Chaque fois qu'il sentait le regret de la princesse l'envahir, Izio embouchait son flûtiau, et celui-ci de lui-même jouait un air joyeux. Toute guillerette, la nymphe accourait en exécutant de gracieux petits pas de danse. Et elle virevoltait autour du berger et elle caressait les ovins et elle taquinait le chien Dobbio, et avec elle les fleurs des champs et l'herbe verte se paraient de couleurs tendres et se tendaient vers le soleil. Tout souriait alentour. Izio se mit à danser avec la nymphe des bois, emporté qu'il était par son enthousiasme et son allégresse. Bien que l'insouciance le gagnât quelque peu, il constata que sa petite entreprise prospérait comme l'avait indiqué Marsyas. Les boucs et les béliers, tout émoustillés par les ébats du pâtre et de la dryade autant que par l'euphorie des biquettes et des brebis d'humeur folâtre, eurent tôt fait de multiplier le troupeau.

Pourtant, bien qu'Izio se plût au commerce de la nymphe, il ne cessait de penser à sa princesse. Pourquoi elle, plutôt que Syrinx? La nymphe aux yeux verts avait une abondante chevelure blonde, les traits toujours jeunes et se montrait d'une humeur constante et joyeuse. Auprès d'elle, la vie était facile, sans arrière-pensée. Après les roucoulades amoureuses, les danses à travers champs et le batifolage innocent, le travail n'apparaissait pas pesant. Et l'on savait qu'avec un peu de musique, tous les soucis s'évanouiraient en douceur. Mais Mélia était là. Plus consistante dans le désir. Son parfum, d'un souvenir entêtant, n'était pas celui des fleurs, mais celui d'une femme, à la fois citronné et suave. Son absence n'était pas un intermède, c'était une frustration. Sur laquelle Izio s'obnubilait.

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