Quelle démocratie pour l'Europe?

11/10/2018

Cette question se pose immanquablement quand on s'interroge sur l'avenir “politique” de l'Union européenne. Car, s'il est vrai que cette union d'États s'est construite sur des bases pacifistes, il n'en reste pas moins exact qu'elle s'est fort peu souciée des réalités sociales et démocratiques. Elle s'est ancrée d'abord sur une coalition économique, le Marché commun, non sur une fédération politique. Et, en second lieu, les États ont voulu conserver leur autonomie et leur régime spécifique. La résultante de ces deux prémisses fut que la CEE puis l'UE ne peuvent pas, par essence, aboutir à une entité politique cohérente. La pseudo-constitution européenne (traités de Maastricht et de Lisbonne) bafoue allègrement toute notion de démocratie, malgré le faux-semblant du Parlement européen.

L'Europe peut-elle être démocratique ?

Regardons le paysage politique de 2018 au sein de cette Union. La monarchie parlementaire du Royaume-Uni, confortée par un nationalisme insulaire, a décidé de quitter l'Union. Les Pays-Bas sont une monarchie dirigée par une coalition de centre droit. La monarchie parlementaire sévit également en Belgique, où le gouvernement est actuellement orienté au centre. Une configuration que l'on retrouve dans la monarchie du Grand Duché de Luxembourg voisin. L'Espagne, bien que monarchie elle aussi, connaît un gouvernement de centre gauche. Le gouvernement de Suède, autre monarchie, est social démocrate de centre gauche. Les républiques de Finlande, d'Estonie et de Lettonie sont aux mains des partis centristes. Orientation politique suivie également par la république du Portugal, la république slovène, la Slovaquie, la Roumanie ou la Lituanie. Tandis que celle d'Irlande (Eire) se place plus nettement à droite, sans toutefois suivre la radicalité de la Pologne, de la Hongrie et de l'Italie, toutes trois orientées à droite et “eurosceptiques”. Le royaume du Danemark, les républiques allemande, autrichienne, croate, tchèque, bulgare et chypriote sont actuellement gouvernés par des partis de centre droit. La Grèce, quant à elle, présente un visage contrasté, puisque le Président est de centre droit, alors que son premier ministre appartient à la gauche radicale. La République française, grande donneuse de leçons, est menée par un président libéralo-centriste (centrisme politique, mais libéralisme économique) et un gouvernement de centre droit.

Ce petit tour d'horizon, au demeurant assez édifiant, ne tient pas compte des différentes formes que prend le “parlementarisme” (monocaméral, bicaméral, fédéral, unitaire, etc.) dans le cadre de ce patchwork constitutionnel. On imagine aisément combien il serait vain d'essayer d'unifier une telle multiplicité, sinon par un acte fondateur extrêmement fort. Le coche a été manqué au sortir de la guerre mondiale - il faut avouer que les États-Unis ont tout fait pour empêcher une hypothétique “unification”, qui du reste aurait été particulièrement difficile à faire accepter par les populations. À force de prôner une illusoire Europe des États, on est arrivé, soixante ans après le traité de Rome (1957), à un durcissement des nationalismes. Ce dernier rend désormais quasi impossible l'avènement d'une entité politique et sociale européenne. L'éventualité d'une forme fédérale de l'Union aurait par contre laissé envisageable une telle construction dans la diversité.

Est-il trop tard?

Disons, modestement, que les conditions présentes ne favorisent pas l'édification d'une structure politique supra-étatique – terme à ne pas confondre avec supranationale. La difficulté première est, en effet, celle de la souveraineté des États. Les nations peuvent, quant à elles, se retrouver plus aisément dans un projet commun et fédérateur, du moment qu'elles peuvent préserver une certaine part de leur identité. Tandis que les États, eux, veulent encore garder leurs prérogatives, qu'ils prétendent le plus souvent nationales mais qui restent du domaine des préséances et liées à des revendications territoriales. Tous les États sont conservateurs en la matière. Il semble donc que l'Europe des États soit une impasse: on aura beau tenter toutes les combinaisons de compromis possibles et imaginables afin de ménager proportionnellement les influences des uns et des autres, cela ne pourra jamais aboutir qu'à un chaos sans nom. Comment, en effet, concilier monarchie et république, scrutins proportionnel et majoritaire, bicaméralisme et monocaméralisme, répartition fédérale et unitaire des pouvoirs, etc., etc.?

Il existe néanmoins des solutions envisageables, sinon concrètement réalisables.

• Le premier point pour aborder celles-ci de façon réaliste est de considérer l'entité Europe comme un tout et non comme une constellation. Constellation qu'elle est actuellement d'États souverains gravitant autour d'intérêts économiques régis par partie par la Commission européenne, par partie par le Conseil européen, mais non par le Parlement. L'euro, en tant que monnaie unique, remplit dans ce sens son rôle fédérateur et agit comme un élément de soudure entre les États de l'Eurogroupe, tout en leur ôtant, soit dit en passant, l'une des caractéristiques constitutives de la notion d'État souverain: le fait de battre monnaie. Il reste que tous les États n'ont pas choisi l'euro...

• Le deuxième point serait de jauger quel est le rapport entre le sentiment d'appartenance et la réalité économique et sociale. S'il en existe un et que celui-ci est fort, il n'est pas illusoire de concevoir une construction fédérale au sein d'un Superétat européen laissant une certaine “liberté” ou “autonomie” aux États-provinces qui le constitueraient. Une telle construction nécessite, évidemment, une volonté commune et une Constitution communautaire en bonne et due forme. On en est loin. Mais on pourrait y travailler.

En allant plus loin, le sentiment d'appartenance à un groupe identitaire pourrait ouvrir la voie à une Europe fédérale des régions. Voilà qui suppose la dissolution des États au profit de grandes provinces, sur le modèle des Länder allemands. N'oublions pas en effet que la région française Nouvelle Aquitaine à elle seule représente un territoire plus vaste que l'Autriche; que le Grand-Est est plus étendu que la Belgique et le Luxembourg réunis; que l'agglomération Bordelaise est deux fois plus peuplée que le Grand-Duché; et que la région Île-de-France s'appuie sur une population 10% plus nombreuse que celle de la Belgique. Il n'est donc pas incongru de penser ces “régions” en termes d'entités fédérées au sein d'une confédération européenne, aux côtés des Länder allemands, de la Belgique, des Pays-Bas ou de l'Autriche.

• Un troisième point reste en suspens et non des moindres. Qu'adviendrait-il des États actuels? Et quelle pourrait être la forme de gouvernement central de la fédération? En l'espèce, les États devraient se saborder, purement et simplement – ce qui n'est pas évident à réaliser –, et céder leurs prérogatives d'un côté à une nouvelle entité fédérale, de l'autre à des provinces “autonomes”. La première ne pourrait en aucun cas être la continuation de la Commission européenne, entité alors vouée à disparaître. Mais elle pourrait prendre le relais du Comité européen des Régions, actuellement réduit à un rôle purement consultatif. Elle devrait obligatoirement émaner d'un processus d'engeance démocratique. Si la forme de gouvernement fédéral n'est pas évidente à mettre sur pied, afin de garantir un équilibre de gouvernance entre les populations, il est relativement facile d'imaginer ce que pourrait être la représentation législative. Les membres de l'Assemblée législative seraient en effet issus d'un vote démocratique au sein de chaque région (au sens large, Länder, ex-États, régions, etc.). Leur nombre serait, par exemple, fonction de la population. L'Europe aurait en effet tout à gagner à préserver des entités régionales à fort cément social, linguistique voire identitaire, sous la coupe d'un pouvoir fédéral unificateur – mais non réducteur ni tout-puissant – concernant les droits, la monnaie, la défense et l'orientation macro-économique. Les préséances nationales se trouveraient diluées, au profit du double sentiment d'appartenance à un État fort et défini (l'Europe) et à une province davantage “ethnique” et sociale.

• Le pouvoir judiciaire devrait sans doute distinguer le droit civil, du ressort de chaque "région", du droit administratif et réglementaire, lui, se situant au niveau fédéral.

La mise en place d'une telle révolution est loin d'être une évidence, attendu qu'elle remet en cause tout l'organigramme de l'Union européenne et de ses États membres. Il ne serait plus possible, par exemple, d'être dans l'Union sans être dans l'Eurogroupe. On imagine aussi facilement que l'implantation physique de la capitale politique européenne donnerait lieu à de vifs débats. Mais qui devrait les mener? Les États actuels? Le Conseil européen? Le Parlement? La Commission? Un maxi-référendum européen? Certes, Bruxelles se pose a priori comme favorite, à ceci près que les dispositions fédérales envisagées ne correspondraient plus à celles existantes. Toutefois, la plus grande autonomie des régions amènerait sans doute l'émergence de métropoles régionales effectives, dont le développement viendrait modérer l'importance de la capitale fédérale.

Un cadre fort et commun à toute l'Europe, dans lequel les provinces pourraient se développer assez librement, cela ne vous rappelle rien? Cela ressemble en fait assez à l'idéal de l'Empire romain. À ceci près que la tutelle ne serait pas militaire, mais plus réellement démocratique.
Tous droit réservés © Patrice Launay 2014-2020
Optimisé par Webnode
Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer